Après des adieux trop
courts, ma route m’a réservé une première petite épreuve. Quittant la banlieue
d’Amay, le chemin indiqué sur la carte topographique se change rapidement en
une jungle miniature de fougères et m’oblige à user de ma boussonis par trouver un chemin empierré en haut de la côte. Celui-ci me mène tout
droit vers le début de ma voie romaine, encore enherbée. Le voyage commence.
Cette première
demi-journée fut consacrée à la traversée du Condroz, où trois couleurs
dominent en cette saison : le vert de bosquets, l’or des champs d’orge et
de froment, et le bleu du ciel. Quelques teintes de gris ponctuent le regard
lors de la traversée des villages : Strée (du Latin « via strata »,
voie pavée), Ramelot, d’où la voie n’est plus praticable, Terwagne (Teruonia)
où je la retrouve, Vervoz (Vervigum), ancien « vicus », ou village
durant l’antiquité, puis Chardeneux aux abords duquel je retrouve un court
tronçon de ma chaussée. Un monsieur à qui je demande de l’eau me dit que Rome n’est
pas loin : « c’est juste avant d’arriver à Durbuy ».
Il est rare de pouvoir
constater au détour d’un chemin les confins de deux régions géologiques :
arrivant au sommet de la dernière colline du Condroz, la Famenne s’offre au
regard, large et verte. Mais déjà l’asphalte fait sentir son effet sur mes
pieds et c’est à Somme-Leuze que Cédric et son épouse m’offrent un coin de leur
jardin pour planter ma tente et une agréable conversation pour meubler ma
soirée.
L’avantage de dormir
dehors est qu’on se réveille avec le soleil. La traversée de la Famenne se fait
aisément en une matinée : je n’ai que Grandhan à traverser pour me trouver
face aux Ardennes à Hotton, qui est la seule agglomération de taille sur ma
route. La voie romaine n’est malheureusement plus praticable désormais, mais
elle traversait probablement cet ancien oppidum (ville fortifiée) gaulois dont
on retrouve des vestiges sur les hauteurs du « Ti Château ».
L’Ourthe est assez
puissante à cet endroit pour avoir percé son lit perpendiculairement aux
premières crêtes des Ardennes. Sa rive droite offre un joli chemin de
randonnée, assez sauvage au début, puis parfaitement aménagé pour distraire les
nombreux vacanciers néerlandophones qui peuplent la région en été. A Rendeux-Bas,
je m’offre une pause de midi qui se révèlera par la suite trop courte, et mes
pieds et épaules ne manqueront pas de me le rappeler. Quatre kilomètres d’asphalte
à partir de Marcourt auront raison d’une bonne part de mon énergie avant même d’aborder
la première côte ardennaise.
N’ayant pas trouvé le
début du prochain tronçon de la voie romaine au croisement de la N888 et N833,
je m’engage un kilomètre plus loin sur un chemin forestier vers Beausaint, bourgade
dortoir et fermière typique de celles que je traverserai jusqu’à Arlon. Elle me
permet malgré tout de rejoindre la voie jusqu’à Beaulieu (Béleu en Wallon) où
je m’écroule à bout de forces. Grâce au ciel, le gardien d’un gîte prend pitié
de moi et m’offre gracieusement une chambre. Après 35 km sans compter les
dénivelés, j’accepte sa proposition providentielle avec empressement.
Quittant Beaulieu, la
voie redevient aménagée jusqu’à ma prochaine pause de midi aux abords de
Bastogne. La campagne est ponctuée de forêts, prés, champs de seigle et de froment
et vallées où nichent villages et mouvements de jeunesse. En début d’après-midi,
face à l’obstacle créé par l’E25, ayant besoin de ravitaillement et mes
chaussures me faisant de plus en plus mal, je décide de rejoindre Bastogne pour
une après-midi de récupération. Le curé m’offre le chapiteau du jardin de son
presbytère pour dormir. De nouvelles chaussures et un repas chaud dans une
brasserie me redonnent confiance au lendemain.
Le quatrième jour, j’ai
fait quelque chose que je ne ferai probablement plus. 45km séparent Bastogne d’Arlon
par les petits chemins, sans compter les dénivelés. Sachant qu’une douche, un
lit chaud et un accueil chaleureux m’attend chez Coralie et Benoit, je décide
de les faire d’une traite. Un bus des TECs m’emmène jusqu’au point où je
reprends la voie romaine 1 km avant Assenois. Je l’empreinte avec sourire et la
pluie commence à tomber. Elle tombera jusqu’à midi. La voie romaine disparait
après Hollange et je décide de suivre le tracé d’un ancien tramway vicinal qui
descend la Strange et la Sûre, affluents du Rhin. On sent peu à peu que le
paysage change et qu’on flirte avec les confins des Ardennes.
A Wisembach, près de
Martelange, je m’offre une trop courte pause avant de traverser une partie de
la forêt d’Anlier où je retrouve satisfait cette chaussée qui jadis était une
artère d’un empire et qui maintenant n’est plus qu’un chemin empierré pour les touristes
et forestiers. Je constate qu’en Belgique, ce qu’on appelle une forêt n’est en
fait qu’une succession de champs d’épicéas et de hêtres… La voie se jetant à
nouveau dans la N4, je me renseigne auprès de deux bucherons qui m’affirment
que le sentier que je devais suivre n’existe plus. Je décide donc de sortir de
la forêt la boussole en main et le dernier paysage de Belgique s’offre à moi :
la Gaume. Celle-ci ressemble soit à la Lorraine française, soit au Luxembourg,
qui sont en fait la même région historique : la Haute-Lorraine. En
revanche, culturellement, la Gaume est la frontière entre la Belgique romane
(parlant wallon), le Luxembourg et sa langue germanique et la France de la
langue d’Oïl.
C’est avec des pieds
criant leur fatigue que je gravis, 13 km plus tard, la dernière montée en entrant
dans Arlon (Orolaunum), où je m’assieds avec délectation sur un banc mouillé en
attendant Benoit et une réconfortante soirée en compagnie de sa famille.
J’ai appris deux choses
en ce début de pèlerinage. Si les jambes n’en peuvent plus, l’esprit
reste vif : en effet, une longue marche est avant tout un exercice physique.
Ensuite, une vraie pause de midi s’impose, parce que la journée est plus longue
que le temps qu’on peut passer à marcher.
Bon courage pour ce dur et beau périple! Oriane
ReplyDeleteJ'ai lu avec plaisir ton premier compte-rendu de ton pèlerinage à Rome Vincent. Comme c'est un pèlerinage j'imagine que tu as prié aussi mon cher beau-frère? A dimanche!
ReplyDeleteJean-Marc
Interessante lectuur 8-) Bovendien fris ik mijn Frans en mijn Latijn op! :-P Veel goeie moed verder! Ook groetjes van An!
ReplyDeleteQuelle aventure, mon Vincent!!! Et si bien raconté!! Je pense souvent à toi, parfois avec un peu d'envie... Cela doit faire beaucoup de bien (peut-être aussi un peu peur) de rester seul avec soi-même aussi longtemps.Quel plaisir aussi de vivre au rythme du soleil! Je t'embrasse bien bien affectueusement, Marie-Ange
ReplyDeleteAaaah, je viens enfin de te trouver. Tu l'avais donc déjà commencé ton périple. Génial, tu me donnes envie. Mais comment se fait-il que ton notebook fait 160 gr ? Serait-ce ton smart phone par hasard ? Si je dois partir j'aurais le poids de l'équipement photo, pieds carbone et vrais notebook... il me faudra un cadi !
ReplyDeleteMon premier périple de 40 km fut Bruxelles-Wavre, début septembre, et, partant un peu tard, je me suis retrouvé en pleine campagne à 11h du soir.... sans tente... et sans torche (la distance ne justifiait pas tout cela...), j'ai dormi à la belle étoile avec les vaches en fond qui broutaient encore aussi tard..... j'ai bien aimé. Le GR5 me tente fort: mer du Nord-méditerranée....
Courage et à très bientôt sur du 5a. Jacquouille