Comment résumer bientôt deux semaines de marche? La France donne l'impression d'être toujours la même et toujours différente, lorsqu'on la voit comme piéton. Deux choses impressionnent: la différence entre les villes et les villages, qui est encore une réalité tangible dans ce pays, et la différence entre le monde où les piétons ont leur place et là où ils ont été oubliés.
Quittant Metz, et afin d'épargner mes genoux encore douloureux, je commence par suivre un sentier aménagé sur une ancienne voie ferrée qui me mène vers mon premier vestige de voie romaine, encore assez court à cause de la Moselle qui semble s'être retournée dans son lit, et du passage de l'E21. Par endroits, la voie romaine n'est plus qu'une limite de cultures. Je savoure ces moments en petit explorateur. Epuisé par une marche finalement relativement courte, je ne résiste pas à l'attrait d'une clairière avec un abris de chasse qui, en outre, s'appelle la "Baraque des Romains". Me voilà à nouveau bivouaquant, cette fois à la sauvage, mais peu m'importe, je suis à deux kilomètres du premier village.
Levé avec le soleil, et peu encouragé par la succession de bretelles de l'autoroute et du chemin de fer à contourner, je décide de faire un détour par Pont-à-Mousson, jolie petite ville de province avec toutes les commodités. Un café pris et mon ravitaillement effectué, je prends la route de Dieulouard (Scarpone) dont le musée gallo-romain n'est malheureusement ouvert que le dimanche. L'après-midi me réserve des surprises. C'est ma première prise de connaissance avec une route nationale. Même dotées d'une berme sur laquelle je me refugie régulièrement, le passage du trafic finit par affecter mon moral. Pourtant, je n'ai aucune alternative, la carte ne révélant aucun trajet me permettant de longer la route. la N74 relie Dieulouard et Toul en une ligne droite et c'est le trajet le plus court. En outre, c'est la première journée où rien ne me fait plus vraiment mal. Les genoux, ainsi que le reste, se sont habitués à la marche. C'est une sensation de libération intense que de retrouver sa sérénité dans sa mobilité.
Je mange avec peu d'apétit dix des vingt kilomètres jusqu'à Jaillon (Gavillo) où je sors pour quémander de l'eau. Me trouvant temporairement hors de la carte (comme c'était tout droit, j'en ai fait l'économie), je repère sur google maps un sentier menant vers un pré retiré. Le sentier s'avère traverser un tailli marécageux, et je dois monter une pente vers une hypothetique sablière et me retrouve en plein milieu d'une propriété privée. Heureusement, ni chien ni habitant ne m'empêchent de retrouver la petite route et je dois refaire deux kilomètres de nationale pour contourner les 500 metres initialement escomptés. Fourbu, je plante ma tente au hasard et ne tarde pas à me coucher.
Le lendemain (nous sommes le 22 août), j'entre en fin de matinée dans Toul (Tullum), résolu de me diriger immédiatement vers le presbytère pour demander l'asile. Heureusement, le prêtre y est avec un couple de jeunes en préparation de mariage. Il me fait patienter quelques minutes et le voilà qui m'offre l'hospitalité. Nous déjeunons ensemble dans son jardin et discourons sur qu'est-ce de la spiritualité dans la religion. Mon après-midi se passe en visites: la cathédrale Saint-Etienne, très belle dans la simplicité de son intérieur, et l'église Saint-Gengoult. Eh oui, Toul est la première ville où je vois une église dédiée au saint-patron des cocus. Le soir, j'installe mes pénates dans le cloître et je m'endors dans un décor grandiose.
Je me lève de bonne heure pour prendre un café avec le prêtre (l'abbé Jacques Détré) et pour effectuer d'une traite les 40 kilomètres séparant Toul de Neufchâteau. C'est 15 kilomètres de nationale et plus de 20 kilomètres de magnifiques vestiges de la voie romaine, s'élançant comme une flèche à travers un beau plateau de cultures et de forêts. Il fait près de 30 degrés mais j'avale avec avidité ce chemin désert, agréablement poussièreux. Par moment, on croit même deviner l'empierrement d'origine. L'arrivée ce fait par Soulosse (Solimariaca). J'arrive à bout de forces mais heureux à Neufchateau au camping municipal que m'ont indiqué un couple de cyclistes italiens. Bavette de boeuf et frites avalées, je m'endors profondément. Une autre chose me surpend: depuis Metz, je commence à avoir des apétits voraces.
Le temps, qui était depuis Metz au beau fixe, change brutalement et je prends mon café à Neufchateau sous la douche. La pluie se calme en matinée mais je suis quitte pour marcher les pieds mouillés jusqu'ai soir. Après Pompierre (Pont de pierre) et son beau pont romain et église au portail roman sculpté, je prends de belles petites routes de campagne suivant scupuleusement ma voie romaine. J'ai l'impression d'entrer dans la France belle, celle qui suscite l'admiration chez tant de gens. C'est la France de petits villages séparés par des cultures, prés et forêts. C'est la France au maisonnettes crépies aux toits rouges bordeau.
Malheureusement, le temps reste variable et un fermier m'offre un abris providentiel dans le foin après avoir été témoin d'une chutte de grèle qui a lascéré les champs de maïs. Quelle sensation de paix que d'entendre les goutelettes d'eau s'écraser sur le toit qui vous abrite. Jusqu'à Langres, c'est le même paysage, collines boisées et larges vallées verdoyantes, et ma voie romaine, que je dois maintenant chercher dans les bois ou les limites de cultures continue à guider mes pas. Après le passage de la Meuse, qui ici n'est qu'une jolie rivière ornée de nénuphars, je passe ma dernière nuit sous tente au bord d'une petite route de village. Si les villages ne manquent pas de charme, leurs habitants se méfient de ceux qu'ils ne connaissent pas et il est toujours difficile de trouver un abris.
Le 26 août, j'affronte les 15 kilomètres me séparant de Langres sous une pluie que les Belges connaissent bien. Fine, elle s'imprêgne à travers tout. En outre, cela fait plusieurs jours que ma batterie me menace de me lacher et les régions que j'ai traversées sont oubliées des opérateurs de téléphonie mobile. J'entre dans Langres (Andemantunnum) comme un fantôme et me dirige machinalement vers la cathédrale Saint-Mammès. J'admire les pilliers gothiques prémitifs et en sortant, je remarque une affiche sur les pélérinages, mentionnant l'abris pour les pèlerins. Du coup, j'oublie le poid de mon sac à dos et mes chaussures trempées et cours vers le presbytère où, en effet, la paroisse a aménagé un appartement avec cuisine et salle de bain. Je m'y prélasse, sortant seulement pour manger un morceau et faire mes emplettes car la pluie ne cesse pas.
Le repos de l'après-midi me permet de prendre contact avec François Louviot, qui avec quelques adeptes s'occupe de l'aménagement de la Via Francigena en France. Grâce à lui, je découvre que je n'aurait plus trop à m'inquiéter de mes nuits, car il m'envoit une liste complète d'hébergements sur la route qu'il me reste à faire en France.
Ayant repris confiance et le temps se remettant temporairement au beau, je prends la direction de Besançon et de la Suisse. La voie romaine suit ici globalement le tracé de la D5. C'est une jolie départementale peu fréquentée, et elle fait de quelques détours, ce qui me réserve de réguliers et beaux vestiges à travers champs et forêts. Mon premier arrêt se fait à Grenant, jolie bourgade avec un beau pont romain où le maire me laisse la salle des fêtes pour m'abriter. Ensuite, c'est Seveux (Segobodium), trente kilomètres plus loin. Je dois faire un détour par Dampierre-sur-Salon car il n'y a aucun magasin sur mon chemin. C'est cette partie de la France où les mairies et les lavoirs ne font qu'un.
A Seveux, je décide de m'arrêter dans une chambre d'hôtes, qui en fait est une caravane dans le jardin, simple mais fonctionnelle. Mon hôte, très sympathique quoiqu'aux aux idées très arrêtées sur certains problèmes sociétaux, m'offre un excellent repas et une longue et houleuse conversation en compagnie d'un de ses amis. Cussey-sur-l'Ognon, qui dans ma tête sonne comme Cuisse-sur-Onion à mesure que ma faim se creuse, est ma troisième étape. Je la dépasse pour rejoindre un camping à Geneuille, 15 kilomètres avant Besançon. C'était hier, j'y ai fait un feu de camp et ai savouré à nouveau la liberté d'un marcheur en autonomie.
Arrivé à Besançon, une idée se précise dans ma tête. Nous vivons dans un monde où les piétons ont perdu leur place. Il y a bien des trottoirs dans les villes et les villages, mais ceux-ci ne permettent que de parcourir de courtes distances. Les déplacements entre les villes sont maintenant le domaine exclusif des transports motorisés. Les piétons sont visiblement lésés, car les routes prennent souvent le trajet le plus rapide. Néanmoins, ces voies romaines, souvent, ont été oubliées et elles gardent pour les marcheurs l'insigne avantage de prendre le chemin le plus direct.
Quelques jours me séparent de la Suisse. Je me réjouis de passer une frontière et de découvrir un autre pays dans ma condition d'insecte dans ce monde de géants ultrarapides. Je garderai le meilleur et le pire en souvenir de la France: un accueil souvent généreux et des routes que je troquerai pour de beaux chemins de randonnée.
Mon cher Vincent, Je me suis crue dans un livre de Robert Merle sur le moyen age!! Merci pour ce petit voyage dans le temps. Tant de km déjà parcourus! Je te vois marchant dans cette campagne poussiéreuse ou discutant ferme avec tes rencontres... Quelle expérience magnifique. Je pense bcp à toi, Marie-Ange
ReplyDeleteBonjour, j espère que vous avez gardé un bon souvenir de votre passage à Seveux. Merci pour votre récit qui donne envie de voyager. Yvan
ReplyDelete